L’orientalisme photographique de Gérôme

Gérôme et le « désir de faire vrai »

87.15.130
Jean-Léon Gérôme (1824-1904) / La Prière publique dans une mosquée / 1871 / huile sur toile / 88,9 x 74,9 cm / New York, The Metropolitan Museum of Art, Bequest of Catharine Lorillard Wolfe Collection, Bequest of Catharine Lorillard Wolfe, 1887, inv. : 87.15.130
L'Égypte et la Nubie / Grand album monumental, historique, arch
Émile Béchard (1844-1891 ?) / Intérieur de la mosquée d’Amrou, issu de L’Égypte et la Nubie : Grand album monumental, historique, architectural / 1877 / phototypie / Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, inv. : FOL-UB-203 (B)

La peinture orientaliste de Jean-Léon Gérôme (1824-1904) s’accroît dès 1855, correspondant aux neuf voyages de l’artiste en Orient effectués entre 1853 et 1880. Aux expéditions qu’il dirige sont souvent associés des artistes (Auguste Bartholdi, Léon Bonnat, Léon Belly, Paul Lenoir, Willem de Famars Testas), et chacun rapporte de son expérience des résultats – peints, rédigés ou photographiés – plus ou moins salués par la critique, mais d’un grand intérêt. Gérôme trouve dans l’Orient une inspiration régulière pour ses nombreux tableaux de genre très documentés, quasi photographiques et ethnographiques.

Le tableau représente la mosquée d’Amrou, la plus ancienne mosquée du Caire, qualifiée par Paul Lenoir de « relique d’architecture ». Visité le pinceau à la main par le peintre est ses compagnons de voyage en 1868 (voir l’illustration ci-dessous), cet édifice est alors désaffecté et « en décomposition » (ce qui leur permit d’y pénétrer sans problème). L’angle choisi par Gérôme pour représenter la mosquée correspond tout à fait à celui reproduit par de nombreuses photographies comme celle d’Émile Béchard (1844-1891 ?), spécialisé dans la production de photographies de monuments autant islamiques qu’égyptiens, de paysages, de petits métiers et de portraits. Béchard eut un studio photographique au Caire entre 1869 et 1880. Sa photographie propose une vue au caractère historique et pouvant susciter un intérêt touristique.

S’inspirant largement de photographies et se voulant plus authentique, l’œuvre peint de Gérôme est attaché à la justesse des éléments mais reste peu vraisemblable, combinant parfois plusieurs clichés pour trouver la véracité qu’il recherche. Malgré le souci d’une documentation ethnographique, Gérôme n’a pas hésité à prendre des libertés à l’égard de l’islam : le mendiant à demi-nu, l’armurerie d’apparat glissée à la ceinture du dignitaire ottoman et la nuée de pigeons ne sauraient exister dans une mosquée. Chaque élément pris séparément est fidèlement restitué mais le collage de l’ensemble crée une scène absurde. La précision photographique rend admirablement l’illusion d’une réalité hors du temps, dans un Orient qui semble immuable.

Famras_Testas_Expedition_1868
Willem de Famars Testas (1834-1896) / Les membres de l’ « Expédition en Orient » / 19 mars 1868 / aquarelle, crayon et encre sur papier / 13 x 20 cm / Leyde, Rijksmuseum van Oudheden, Centre de documentation – Archives, cote. : 19.6.3/1 c

Pour aller plus loin :  

Peltre Christine, Les Orientalistes (nouvelle édition augmentée), Paris, Hazan, 2018.

Des Cars Laurence, Font-Réaulx Dominique de et Papet Édouard (dir.), Jean Léon Gérôme (1924-1904). L’Histoire en spectacle, cat. exp. (Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 15 juin – 12 septembre 2010 ; Paris, musée d’Orsay, 19 octobre 2010 – 23 janvier 2011 ; Madrid, Museo Thyssen-Bornesisza, 1ermars – 22 mai 2011), Paris, Skira Flammarion ; Paris, musée d’Orsay, 2010.

Galichon Émile, « M. Gérôme, peintre ethnographe », Gazette des Beaux-Arts, t. XXIV (février 1868), p. 147-151 ; Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2030880/f182.image.r=Gazette%20des%20Beaux-Arts

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