Le « mirage oriental » s’achève

Renversement des valeurs : un orientalisme en Orient

Osman_Hamdi_Bey_Vieil_homme
Osman Hamdi Bey (1842-1910) / Vieil homme devant des tombeaux d’enfants / 1903 / huile sur toile / 202 x 150,7 cm / Paris, musée d’Orsay, inv. : 20736
Qadir_al_Rassam
Abdul Qadir al-Rassam (1882-1952) / Sans titre / 1901 / aquarelle sur papier / 35 x 27 cm / Doha, Qatar museums, Mathaf Arab Museum of Modern Art

Le peintre turc Osman Hamdi bey (1842-1910) est le fondateur de l’Académie des Beaux-arts d’Istanbul, conçue sur le modèle de l’École des Beaux-Arts de Paris qu’il fréquenta – sans y être inscrit – en 1862-1868. Il est également un grand nom de la vie intellectuelle et artistique d’Istanbul de la fin du XIXsiècle, alors que la Turquie ottomane s’ouvrait largement à la modernité de l’Occident depuis la réforme du Tanzîmât de 1839. Il reçut une formation digne de la haute aristocratie turque : son père l’envoie faire des études de droit à Paris en 1860, mais attiré par les arts, il préfère fréquenter l’atelier de Jean-Léon Gérôme. À son retour en Turquie, il occupe des postes administratifs dans la culture, l’archéologie et les Beaux-Arts et n’abandonne pas le pinceau. Ses tableaux sont clairement influencés par l’orientalisme très documenté et précis de Gérôme, avec lequel il partage l’usage de photographies pour composer ses œuvres. Les sujets qu’il peint le sont souvent par de nombreux orientalistes et il observe les Ottomans à la manière des Occidentaux (un de ses amis dira de lui qu’il est le « plus parisien des Ottomans »). Cependant, son intérêt pour l’architecture religieuse musulmane et les sujets religieux lui permet d’exprimer un regard juste sur l’Islam, religion ouverte et pacifique, proposant même une réflexion critique des textes sacrés conformément aux réformes théologiques du XIXsiècle en Turquie.

Abdul Qadir al-Rassam (1882-1952) fait partie d’un groupe d’officiers militaires irakiens formés à Istanbul. Comme la majorité des écoles de ce type, le cursus incluait l’apprentissage du dessin militaire, au style académique européen. Rentrés dans leur pays, ces élèves ont fait connaître en Irak la peinture de chevalet au début du XXe siècle. Il eut une influence déterminante sur l’initiation de ce pays à l’art occidental. Al-Rassam choisit de parfaire son éducation artistique par une formation privée auprès de plusieurs peintres de renom turcs qui avaient adopté un style français. Il travaille dans un style réaliste et privilégie les paysages panoramiques souvent traversés par le fleuve Tigre, les vues de sites archéologiques, les portraits et les scènes de genre de la vie quotidienne irakienne. Bien que sa production principale soit la peinture à l’huile, il a réalisé au début de sa carrière de nombreuses aquarelles représentant les rues et les marchés d’Istanbul. Le peintre sut faire preuve d’un œil juste pour saisir, avec des couleurs fraîches et avec un sentiment de vérité, le quotidien des musulmans turcs, sans pathos ni complaisance, sans pittoresque accentué ni ethnographie grossière.

 

Pour aller plus loin :

Labrusse Rémi, Islamophilies. L’Europe moderne et les arts de l’Islam, cat. exp. (Lyon, musée des Beaux-Arts, 2 avril – 4 juillet 2011), Paris, Somogy, 2011.

Eldem Edhem, « Making sense of Osman Hamdi bey and his paintings », Muqarnas An Annual on the Visual Cultures of the Islamic World, vol. 29, Leyde, Brill, 2012, p. 339-383.

Pouillon François et Vatin Jean-Claude (dir.), Après l’orientalisme. L’Orient créé par l’Orient, actes de colloque (Paris, EHESS et Institut du monde arabe, juin 2011), Paris, Karthala, 2011.

Pouillon François (dir.), Dictionnaire des orientalistes de langue française, Paris, Karthala, 2008.

Reinach Salomon, « Hamdi Bey », Revue archéologique, 4esérie, t. XV, janvier-juin 1910, p. 407-413 ; Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2036685/f410